Le salut vient des juifs

Lecture : Jean 4

Il y a tant de choses à dire sur ce texte !!

Sur la Samarie et les samaritains, sur les voyages de Jésus à travers la Judée, la Galilée. Sur le puits de Jacob, et la terre qu’il a donnée à son fils Joseph. Sur la relation de Jésus avec cette femme et les femmes en particulier. Sur les moissonneurs et les semeurs .Sur les grandes affirmations de Jésus, qui se déclare « messie », qui parle de « vie éternelle », qui dit que « Dieu est Esprit » et que l’on doit l’adorer « en esprit et en vérité ». Sur la métaphore de la soif. Sur la conversion des samaritains sur la base du récit d’une « simple » femme et sur la base de Parole de Jésus. Et sur leur déclaration « il (Jésus) est vraiment le sauveur du monde ».

Il y a tant et tant de choses à dire sur ce texte que souvent il y a un demi petit verset, 5 mots que l’on oublie, dont on parle rarement et qui sont pourtant tristement fondamentaux au regard de l’histoire. Ces mots nous questionnent du point de vue théologique et sur le plan humain ils nous accablent.

Ces 5 mots,  6 en grecs se disent : « è soteria ex tov ioudaion estin » :

« Le salut vient des juifs ».

Je lis, en ce moment, un ouvrage passionnant sur l’histoire de Mazères. Cela se passe au moyen âge, et l’auteur, qui est un historien hors pair, a fait un travail remarquable et très documenté sur les « forces » en présence à cette époque-là : abbés et seigneurs se partagent  les terres, les champs, les granges, les moulins… et le pouvoir

C’est aussi en Ariège (où se trouve Mazères), le temps des croisades, des luttes et des massacres d’hérétiques, des cathares en particuliers. Une histoire tristement connue surtout en Ariège et dans l’Aude. Et c’est aussi et toujours le temps du massacre des juifs. Pourquoi ?

L’auteur consacre un petit chapitre « aux juifs de Mazères » où l’on y apprend qu’en 1320, 500 juifs qui s’étaient réfugiés à Verdun sur Garonne ont été assassinés. Pourquoi ?

Pourquoi dans cette France chrétienne, remplie d’abbés, de moines, de congrégations  il y a tant de violence, même à l’encontre des juifs dont Jésus, affirme pourtant dans l’Evangile de Jean, qu’ils sont les porteurs du salut ?

Pourquoi tant de haine, de massacres ? Pourquoi ? Quel sens cela a-t-il ? Quel but est poursuivi ?

Pourquoi ? C’est la question que se posent toutes les victimes. Les victimes de l’holocauste, mais aussi toutes les victimes qui subissent une violence injustifiée, injuste, gratuite. « Pourquoi ? »

A presque 90 ans mon père, qui a été personnellement concerné par la Shoah, cherche encore la réponse :  dans des livres, dans des documentaires, des témoignages, des photos…

Et vous savez que certaines victimes ont tellement besoin d’une réponse qu’elles pensent la trouver en elles-mêmes : les femmes battues, ou les enfants, pensent souvent que c’est de leur faute. Beaucoup de victimes rétablissent un semblant de justice en se dévalorisant, en pensant à tort qu’elles méritent ce qui leur arrive.

Du moyen âge, nous allons faire un bon de plusieurs siècles, et nous retrouver en 1992. Parce qu’en 1992 il s’est passé quelque chose d’exceptionnel : en 1992, l’évêque de Ratisbonne en Bavière arrête officiellement le Pèlerinage de Deggendorf qui célébrait annuellement depuis 1338 le massacre des juifs « profonateurs de l’hostie ». Je dis que c’est  exceptionnel,  non pas pour dire bravo et que c’est une décision magnifique, mais parce c’est absolument incroyable que ce pèlerinage ait pu exister jusqu’en 1992 !

Comment, par quels biais, par quelle entourloupe de l’esprit nous avons pu passer du « salut vient des Juifs », à leur massacre au cours de l’histoire ?

On pourrait penser que c’est par manque de connaissance. Il est vrai que depuis l’expérience avec les cathares au XIIIème siècle qui avaient traduit le Nouveau  Testament en Occitan, l’Eglise s’était opposée à toute traduction en langues vulgaires, parce qu’elle les jugeait trop dangereuses…( ce qui est aussi en parfaite contradiction avec l’appel de Jésus à adorer Dieu en Esprit et en vérité). Mais cela ne suffit pas à expliquer cette défiance et la culture du rejet des juifs, parfois inscrite au coeur des liturgies, jusqu’à la fin du  20eme siècle.

Pourquoi ?

La réponse n’est pas à chercher dans les Ecritures, car les écritures ne sont ni « complotistes », ni ambigües, elles sont claires : Jésus est juif, il n’est pas venu abolir la loi mais l’accomplir, il est de la lignée davidique, il loue les prophètes et affirme que le salut vient des juifs. Couper Jésus de ses origines juives, de sa judaïté, c’est se l’approprier pour l’instrumentaliser à ses propres fins. L’antisémitisme au cœur des Eglises est une perversion extrême.

Et si les Ecritures sont claires, la réponse n’est donc pas à chercher de leur côté, mais elle est à chercher dans l’homme, dans l’être humain! Nous apprenons à la faculté de théologie à faire l’exégèse des textes, et si nous apprenions aussi à faire l’exégèse de l’être humain ?

Parce que la violence, la cruauté sont dans tous les domaines humains : dans les églises, les religions, la politique, dans les familles, dans la nature aussi l’être humain fait des victimes partout il passe. Tout nous pousse à regarder de son côté.

« Faire l’exégèse de l’être humain » c’est une drôle d’expression, parce qu’on l’utilise normalement pour un texte. Je l’utilise à dessein ce matin pour renverser, vous l’avez compris, le point de vue. Et dire que ce ne sont pas les écritures qui sont obscures ou complexes mais bien l’être humain.

Alors vous me direz que l’être humain on l’étudie depuis longtemps et que bien des disciplines ont leur point de vue : les sciences, la philosophie, la psychologie, la psychanalyse, la littérature … mais malgré tous ces efforts, et des œuvres considérables de beauté et d’intelligence, de profondeur, le mal est toujours là et les victimes restent avec leur question « pourquoi ?». Il semble même, que la perception de la beauté et du bien, du bon, rendent la question du mal et de la souffrance provoquée par l’homme encore plus douloureuse, encore plus intense. « Enrageante ».

On dit parfois que la question du mal est « aporétique » (Paul Ricoeur). Aporétique c’est « qui est plein de contradictions que l’on ne peut résoudre » , en tous cas au moins par la pensée chez Paul Ricoeur.

Mais la prise en compte de cette question devient urgente dans notre société qui change. Je vous donne un exemple : il y a quelques années, on me disait souvent : « Oh madame le pasteur, moi je crois en l’homme » ! Ce qui m’a toujours laissée très perplexe. Mais aujourd’hui dans les nouvelles générations, on n’entend pas cela de leur bouche : la baisse de la natalité, le désintérêt pour le travail, les dépressions grandissantes sont des signes de mal être et «  d’incroyance » en l’homme même. II y a aujourd’hui un désamour de notre propre nature, de notre être et des interrogations légitimes, que je pense nous partageons tous, sur la capacité de l’homme à une vie bonne et douce. Kalos

L’Evangile de ce matin est merveilleux et en le relisant je comprends pourquoi Calvin n’avait de cesse de souligner l’importance des Ecritures : alors que le monde déportait et tuait des millions de juifs, des vieillards aux enfants, en elles restaient gravés ces mots « è soteria ex tov ioudaion estin » : « le salut vient des juifs ».

Les Ecritures ne sont pas complotistes, ni ambigües, elles sont claires. Elles sont parfois comme un miroir dans lequel se reflète l’horreur de l’humanité. Mais, elles sont aussi notre bouée de sauvetage, parce qu’entre tous les maux qui sont les nôtres, elles affirment et montrent aussi de façon très simple, et très claire, sans ambiguïté, que  l’Esprit Saint peut nous faire changer. Mais pour cela il faut être prêt comme le dit aussi Jésus dans l’Evangile de Jean à rencontrer Dieu « en esprit et vérité » ce qui demande aux êtres humains que nous sommes  un travail spirituel important.

Il s’agit de rester fidèle à Dieu. La fidélité à Dieu c’est une fidélité à la fois joyeuse et difficile. Joyeuse parce que les écritures sont simples, ouvertes, disponibles, difficile parce qu’elles nous confrontent souvent à nous nous-mêmes. Mais parce que c’est ainsi, parce que nous sommes appelés à passer de l’ombre à la lumière, nous pouvons et nous devons nous aussi poser la question « pourquoi » à l’homme sans avoir peur de ne pas pouvoir en assumer la réponse.

Amen