1 Corinthiens 12 v. 12 à 27

prédication de Catherine Golfier (12 mai 2024 Rive droite)
Corinthe

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12 Car, comme le corps est un et a plusieurs membres, et comme tous les membres du corps, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps, ainsi en est-il de Christ.

13 Nous avons tous, en effet, été baptisés dans un seul Esprit, pour former un seul corps, soit Juifs, soit Grecs, soit esclaves, soit libres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit.

14 Ainsi le corps n’est pas un seul membre, mais il est formé de plusieurs membres.

15 Si le pied disait: Parce que je ne suis pas une main, je ne suis pas du corps-ne serait-il pas du corps pour cela?

16 Et si l’oreille disait: Parce que je ne suis pas un œil, je ne suis pas du corps, -ne serait-elle pas du corps pour cela?

17 Si tout le corps était œil, où serait l’ouïe? S’il était tout ouïe, où serait l’odorat?

18 Maintenant Dieu a placé chacun des membres dans le corps comme il a voulu.

19 Si tous étaient un seul membre, où serait le corps?

20 Maintenant donc il y a plusieurs membres, et un seul corps.

21 L’œil ne peut pas dire à la main: Je n’ai pas besoin de toi; ni la tête dire aux pieds: Je n’ai pas besoin de vous.

22 Mais bien plutôt, les membres du corps qui paraissent être les plus faibles sont nécessaires;

23 et ceux que nous estimons être les moins honorables du corps, nous les entourons d’un plus grand honneur. Ainsi nos membres les moins honnêtes reçoivent le plus d’honneur,

24 tandis que ceux qui sont honnêtes n’en ont pas besoin. Dieu a disposé le corps de manière à donner plus d’honneur à ce qui en manquait,

25 afin qu’il n’y ait pas de division dans le corps, mais que les membres aient également soin les uns des autres.

26 Et si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui; si un membre est honoré, tous les membres se réjouissent avec lui.

27 Vous êtes le corps de Christ, et vous êtes ses membres, chacun pour sa part.

 

 

Dans quel contexte Paul a-t-il écrit cette 1ère lettre aux Corinthiens ?
A cette époque, Corinthe est une grande ville, riche de deux ports, grouillant de monde, au trafic incessant de bateaux chargeant ou déchargeant leurs marchandises. En effet elle est située à cheval sur un isthme séparant le Péloponnèse de la Grèce continentale, isthme qui constitue un obstacle sur la voie maritime allant de l’Asie mineure à l’Italie. Pour éviter ce détour les bateaux déchargeaient leur cargaison dans le port oriental de Corinthe et les acheminaient vers le port occidental pour être rechargeaient sur d’autres bateaux. Les bateaux de faible tonnage étaient même tractés sur une route dallée, bordée de deux ornières de guidage.
Cette ville de Corinthe, où la main d’œuvre était abondante et bon marché, attirait les amateurs de profits rapides. Les nouveaux riches y étaient nombreux.
Au moment où Paul se rend à Corinthe, on estime sa population à 80000 personnes.
Comme dans toutes les villes portuaires, un certain laxisme moral régnait. Vivre à Corinthe était tout sauf un certificat de moralité !

Cette mégapole cosmopolite attirait autant les amateurs de négoce que les propagandistes religieux : cultes aux dieux du panthéon grec, culte à l’empereur, cultes orientaux venus d’Égypte, cultes à mystères…..etc.
C’est dans ce marché religieux ouvert et diversifié que Paul prêche l’Évangile. Et lorsqu’il quitte Corinthe, il laisse une chrétienté active et florissante.
La majorité des convertis est d’origine non juive et issus de classe à faibles revenus. Or la communauté a pu s’organiser autour de quelques personnes aisées qui mettent leur maison à disposition pour les cultes et les réunions fraternelles. Cette minorité joue un rôle prépondérant, ce qui ne va pas sans tension.

L’image qui ressort de la communauté corinthienne, c’est le mot conflit . D’un bout à l’autre de l’épître, Paul fait état de désaccords, de divisions, de querelles. L’église de Corinthe apparaît à la fois vivante, attentive et déchirée.
Il faut dire que les jeunes communautés, laissées seules, non seulement avaient rompus avec leur monde religieux d’alors, mais aussi ne pouvaient s’appuyer sur aucun modèle , aucun programme, aucun précédent. Jésus de Nazareth n’avait laissé derrière lui aucune prescription institutionnelle, aucun modèle de communauté, sinon la vie vagabonde de son groupe de disciples. Tout était à inventer !
Quand Paul quitte Corinthe, il ne laisse aucune consigne claire sur le plan de l’éthique. Il fallait donc inventer une manière d’être chrétien, et chacun cherchant de son côté , la communauté se trouvait désemparée, divisée, fragilisée.
Cette division de la communauté est d’autant plus fâcheuse qu’elle touche son identité même. C’était par ses actes et son comportement que cette nouvelle communauté chrétienne pouvait se manifester dans la société, plus que par ses pensées. L’éthique est donc un marqueur identitaire et se diviser sur le comportement, c’est mettre en crise l’identité du groupe. Voilà pourquoi, dans la première lettre aux Corinthiens, les questions éthiques occupent la première place.

Un des sujets de dissension concerne les dons de l’Esprit. Certains croyants avaient un goût immodéré pour les dons exaltés de l’Esprit Saint : le parler en langues, la prophétie, les pouvoirs miraculeux…
Ainsi une aile charismatique de la communauté surévalue ces dons et prétend que la présence de l’Esprit Saint n’est liée qu’à ces choses-là, donc ceux qui en sont privés se trouvent réduits au statut de chrétiens ordinaires, pour ne pas dire déficients !! Paul règle le problème par un principe cinglant : « le simple fait de confesser sa foi fait du croyant un être traversé par l’Esprit Saint. Tout chrétien est charismatique. L’Esprit n’est pas l’apanage d’une élite spirituelle. Tous les dons, sagesse, don de guérison, discernement des esprits,…..et même la foi toute simple, tout cela , c’est l’unique et même Esprit qui le met en œuvre, accordant à chacun et chacune des dons personnels divers, comme il veut. Tout croyant est ainsi invité à considérer les qualités dont il dispose quelles qu’elles soient, comme des dons spirituels à mettre au service du bien de tous dans la communauté.
Paul va alors utiliser une comparaison pour se faire comprendre : celle du corps. Il applique cette image à l’Église avec la même idée d’expression : l’indispensabilité de tous les membres et leur interdépendance, sauf qu’il ne justifie aucun rapport hiérarchique. Ainsi les tenants des dons charismatiques les plus brillants ne sauraient mépriser les dons moins spectaculaires.
Mais il n’en reste pas là. Il invente le concept de corps du Christ que personne avant lui n’avait utilisé. Pour contrer une spiritualité qui sépare et promeut une élite, il donne sa vision de l’Église comme une entité où chaque croyant, quel que soit son rang, sa valeur sociale ou son don spirituel, est indispensable à la présence du Christ dans le monde.
Dans l’Église- corps du Christ- chaque baptisé a sa place et son prix. Il n’y a ni petits rôles ni tâches méprisables.
Alors faut-il décerner à Paul un certificat de bonne démocratie : tous égaux en Église.
Non, car cette conception démocratique de l’Église ne tient pas à une idéologie égalitaire. Il faut aller chercher plus profond : dans « la croix scandale et folie de Dieu »
L’Évangile de la croix met en déroute tous ceux qui cherchent Dieu. Il s’est manifesté là où on ne l’attendait pas, là où on ne le désirait pas non plus, en un lieu de souffrance extrême. Pour les incroyants, l’idée que Dieu se révèle dans un corps cloué sur une croix, est un non-sens, une absurdité, une folie.
Or, quels que soient les formes que prend l’attente du Messie qui délivrera Israël, elle aspire toujours à une figure de force. Un Messie crucifié ne remplit nullement ce programme ! Cette révélation de Dieu à la croix pulvérise l’imaginaire d’un Dieu fort et raisonnable.
Paul invite à regarder la composition de la communauté (beaucoup d’esclaves et d’affranchis, peu de gens aisés) comme la confirmation de sa thèse : ce qui est faible dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est fort. L’option de Dieu pour la faiblesse fait voler en éclats les valeurs d’excellence que se donne les sociétés. Dés lors, nul ne peut s’en prévaloir en Église.
L’origine sociale ou religieuse n’est pour rien dans l’adhésion au Christ. Chacun, chacune est appelé et reçoit une nouvelle identité dans le Christ Jésus.

L’église de Corinthe n’était pas un modèle de perfection aujourd’hui à imiter, mais l’exemple de ce qu’est l’Église de Jésus-Christ : un rassemblement de pécheurs pardonnés…mais pécheurs quand même !
Or, ce qui est frappant, c’est que Paul commence sa lettre aux Corinthiens par ces mots : « A l’Église de Dieu qui est à Corinthe…… La grâce et la paix soient avec vous tous ! »
Cette église-là est l’Église de Dieu, oui, sur ces hommes et ces femmes est invoquée la grâce du Seigneur !
Église de Dieu : elle ne l’est pas de par ses mérites, son dynamisme, sa solidarité fraternelle ou son orthodoxie théologique…mais bien par cette grâce de Dieu que Paul appelle sur chacun de ses membres, sur tous ses membres !
Et cette église-là, à travers ce qu’elle est ou plus exactement ce que sont ou ne sont pas ses membres, à travers leurs faiblesses, leurs erreurs ou leur condition sociale insignifiante, autant de choses qui la rendent faible et méprisable, cette église-là manifeste la force, la puissance et le salut de Dieu pour le monde.
Ce paradoxe trouve sa force dans la folie de la croix, évoquée tout à l’heure et qui affirme la royauté d’un Dieu crucifié, la puissance d’un Messie mourant et faible..
Cette église de Corinthe est l’église de Dieu, choisie par lui, aimée de lui : elle ne l’est pas à cause de ses mérites, de sa force, de sa croissance ou de sa vitalité, elle l’est par la grâce de Dieu.
Alors quel formidable message d’espérance pour nos communautés chrétiennes :
il n’y a parmi nous ni beaucoup de riches, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de sages et ce que nous sommes en tant qu’hommes et femmes et en tant que chrétiens, n’a rien qui puisse nous attirer particulièrement les faveurs du Seigneur !
Qui plus est , ce rassemblement que nous formons ce matin n’a, selon toute apparence, aucune incidence sur la marche du monde : le monde et ses guerres se moque même éperdument de ce que nous faisons ce matin ; la guerre et la paix se jouent en dehors de ce lieu, c’est du moins ce qui apparaît au premier regard !
Et certains esprits chagrins pourraient même nous faire remarquer que nous aurions sans doute des choses plus urgentes à faire ! Bref, pour le dire en un mot, ce que nous faisons ici, du point de vue de la logique des hommes, de la rentabilité, ne sert à rien !!
Or voilà le message surprenant de Dieu en Jésus-Christ : à travers ce que nous sommes et ce que nous faisons ici ce matin, Dieu manifeste son salut, sa grâce et son amour. C’est dire si notre rassemblement a une importance primordiale dans l’ordre du projet de Dieu, non seulement pour nous les chrétiens, mais pour le monde.
Malgré nos infidélités, nos divisions, nos errements, nos échecs…et peut-être à cause de cela même, Dieu nous a choisi, aimés, graciés et il ne reviendra jamais sur cela.
Prendre conscience que ce rassemblement est un signe de Dieu pour les hommes, cela devrait nous rendre paisibles : nous sommes au bénéfice de la grâce de Dieu et cela ne pourra jamais être remis en question.
Ainsi l’accès aux différents ministères de l’Église, ministère de la parole, ministère diaconal ou de conseiller local ou presbytéral, de catéchète, de musicien ou que sais-je encore, ne se fait pas à partir d’une logique de l’avancement au mérite ou de la dignité : il se fait par un oui de chacun d’entre nous , un oui certes hésitant mais lucide et serein, un oui par lequel nous répondons à l’appel qui nous est adressé jour après jour par notre Dieu.
Cela devrait aussi nous rendre joyeux, parce que libérés, déchargés du fardeau de cette mauvaise conscience qui entrave souvent notre témoignage et qui donne parfois l’impression que nous participons à un combat perdu d’avance ! Joyeux de savoir que Dieu nous accepte tels que nous sommes.
Alors paisibles et joyeux, nous serons disponibles pour les tâches nombreuses qui s’offrent à nous : évangélisation, diaconat, témoignages en paroles ou en actes, service social, accompagnement spirituel…etc, sans hiérarchie entre ces différents services. Nous serons disponibles avec ce que nous sommes, nos dons, nos capacités mais aussi nos faiblesses et nos incapacités, car le Dieu de Jésus-Christ justifie l’homme tel qui l’est !
Nous ne sommes ni plus ni moins que les chrétiens de Corinthe, mais c’est avec nous que Dieu veut faire avancer son Règne… et aujourd’hui comme hier, la tâche est urgente !
Alors agissons pour que nos Églises soient faites de lieux où tout homme puisse prendre sa stature, trouver corps et place avec d’autres, sans violence et sans humiliations pour grandir ensemble, comme un corps grandit avec le Christ.
Le Christ est venu pour bouleverser les valeurs des hommes : là où il y a la haine, il nous enseigne l’amour. Là où notre seule réponse est la violence, il nous demande l’écoute et la compréhension. Là où l’on rejette, il nous demande d’accueillir. Il nous dit que notre seul souci, à chaque instant, doit être d’imaginer avec notre prochain une relation de liberté et d’égalité, une relation où les droits et les devoirs de chacun sont identiques. Alors nous deviendrons tous, vraiment, les membres d’un même corps, chacun avec nos compétences complémentaires .
Je voudrais terminer par ce témoignage de Bernadette Soubirous, qui exprime bien cette idée de la nécessité et de l’indispensabilité de chaque membre dans l’Église :
Sa mère supérieure, qui ne devait pas être très commode, la visitant malade, lui dit : « Quel est votre emploi, ma fille ?
Être malade » répond-elle.
Voilà qui est bien utile à la communauté » ironise-t-elle
Et Bernadette lui répond : « Je crois que oui justement. Il n’y a pas que le ressort qui fasse marcher l’horloge, il faut aussi des poids. J’en suis un ! »
Amen.

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