Démons?

Prédication du pasteur Eric de Bonnechose, lors du culte par visioconférence, le 6 février 2021, sur Marc 1, 29-39

 Ils quittèrent la synagogue et allèrent aussitôt à la maison de Simon et André, en compagnie de Jacques et Jean. La belle-mère de Simon était au lit, avec de la fièvre ; aussitôt on parla d’elle à Jésus. Il s’approcha d’elle, lui prit la main et la fit lever. La fièvre la quitta et elle se mit à les servir.

Le soir venu, après le coucher du soleil, les gens amenèrent à Jésus tous les malades et ceux qui étaient possédés par des démons. La ville entière se pressait à la porte de la maison. Jésus guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies et il chassa aussi beaucoup de démons. Il ne laissait pas parler les démons, parce qu’eux savaient qui il était.

Le lendemain, Jésus se leva bien avant l’aube et sortit de la maison. Il s’en alla dans un lieu désert et là, il se mit à prier. Simon et ceux qui étaient avec lui partirent à sa recherche ; quand ils le trouvèrent, ils lui dirent : « Tout le monde te cherche. » Jésus leur dit : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, pour que là-bas aussi, je proclame la bonne nouvelle ; car c’est pour cela que je suis venu. » Et il parcourut toute la Galilée ; il proclamait la bonne nouvelle dans leurs synagogues et il chassait les démons.

Rembrandt - Guérison de la belle-mère de Pierre
Rembrandt – « Guérison de la belle-mère de Pierre »

L’omniprésence des démons

Imaginons que nous soyons Jésus. Nous venons d’être baptisé, nous avons forgé notre vocation et notre âme dans l’épreuve du désert, nous avons appelé à notre suite quatre premiers disciples. Tout est prêt pour inaugurer notre ministère. Alors qu’allons-nous faire ?

– Baptiser en vue de la conversion, comme Jean ?

– Prêcher partout ? Constituer une communauté de plus en plus grande ?

– Monter à Jérusalem pour prendre le pouvoir ?

– Etre avec les pauvres pour les aider à s’en sortir ?

– Constituer une école de théologie pour approfondir et diffuser le message ?

– Ecrire un manifeste, un « petit livre rouge », centré sur l’amour ?

Jésus parle, proclame, enseigne. On ne sait pas précisément quoi, d’ailleurs, mais cela a un rapport avec la proximité du Royaume. Il n’est pas certain que Jésus ait eu un plan, un programme. Encore moins un projet de vie, un cahier des charges ou un plan d’action, comme on aime en faire aujourd’hui dans notre Eglise ! Ou un modèle d’évangélisation et de croissance, comme on aime en faire dans les Eglises Evangéliques. Mais étant habité de la présence de Dieu, il laisse les événements surgir. Il survient des demandes, des oppositions. Il advient une parole qui se constitue dans la réaction à ces événements.

Jésus commence à parler, et quelque chose se passe… Il y a certes quelques étonnements, quelques réactions à ses paroles. Mais le plus frappant, c’est que les esprits mauvais commencent à sortir de leurs cachettes, et qu’un combat avec Jésus s’engage. Jésus prêche que le Royaume de Dieu s’approche, et ce sont les démons qui s’approchent…

– Accumulation des situations : au milieu de la synagogue, à la porte de la maison de Pierre, puis dans toute la Galilée.

– C’est comme si d’emblée un gigantesque combat était engagé contre les forces du mal. Jésus, par sa présence, met en ébullition le monde bizarre et inquiétant des démons et des mauvais esprits.

Démons de notre monde troublé

Quels visages prennent pour nous ces esprits mauvais ? Ils sont multiples et divers, et sans doute que nous ne les voyons pas tous avec les mêmes mots et la même puissance.

– Démons collectifs. Nationalisme exacerbé. Fanatisme religieux. Soif démesurée de profit financier. Peurs collectives d’être envahis, dominés, changés… Ambitions, pouvoirs…

– Démons individuels, à enjeux collectifs. Compréhension des démons comme des entités indépendantes de nous, capables de nous investir, de nous aliéner, avec des intentions négatives qui nous échappent. Voisinages avec la folie. Quelque chose dont on peut être libéré principalement par une action extérieure (exorcisme, rite, acte de puissance), demandant un minimum de participation car étant possédés, nous ne sommes plus libres de nous libérer nous-mêmes.

– Démons psychologiques, cf Drewermann[1]. Le démon est une peur fondamentale enfouie en nous depuis la petite enfance. Avant tout celle d’être abandonné de nos parents, et qui se répercute en de nombreux comportements divers qui vont marquer toute notre vie :

– la déception vis à vis de nos parents qui ne sont pas parfaits et tout puissants, et la culpabilité d’éprouver ce sentiment ;

– le désir de les satisfaire pour qu’ils restent auprès de nous, et pour cela les contraintes que nous nous imposons à nous-mêmes dès le plus jeune âge pour faire de nous-mêmes quelqu’un d’acceptable…

…deux mécanismes parmi d’autres qui tendent à nous désunir intérieurement. Nous sommes au fond comme une armée qui combattrait dans une plaine, et qui pour se protéger irait se réfugier sur un piton rocheux extrêmement bien défendu. Au début, c’est l’apaisement et la sécurité, mais bientôt la faim et la soif se manifestent, et une grande tension intérieure survient dans la place forte[2]. Nous finissons par être menacés par les mécanismes mêmes que nous avons mis en place pour nous défendre. Cf en confinement : protégés, puis menacés par notre enfermement !!

Nécessité d’un thérapeute 

Comment s’en sortir ? Avec un exorcisme ?

Il y a parfois des exorcismes « light… » Exemple de cette personne qui, étant agressée, se tourne vers son agresseur et lui demande : « mais pourquoi me fais-tu cela ? ». Et l’autre en reste immobile, tout désarmé.

Quelqu’un qui ose reconnaître ses peurs et ses angoisses, ose les accepter et vivre avec ses limites humaines. Cette personne-là, si elle est allée assez profondément dans cette voie-là, peut aider les autres à sortir de leur citadelle et à trouver un chemin de guérison. Quelque fois c’est donné, comme une grâce. Cela peut aussi être le fruit d’un long chemin intérieur, dans la prière.

C’est là où Drewermann situe Jésus. On remarquera effectivement le soin que l’Evangéliste Marc prend à montrer Jésus seul à l’écart, priant. Seul avec lui-même, avec ces peurs et ces angoisses qui montent dans la nuit et qu’il apprend à domestiquer et à resituer dans une relation de confiance avec son Père céleste. Jésus est par excellence celui qui a été “ l’homme véritable, comme nul homme ne l’a jamais été ”, pour reprendre une de nos confessions de foi. L’homme véritable qui accepte ses limites, et notamment la limite de la mort. En étant cet homme-là, Jésus devient capable de faire éclater les mécanismes qui nous emprisonnent, de faire sortir les démons que nous enfermons en nous.

Mais, et c’est là aussi que nous rejoignons le texte de l’Evangile, ces mécanismes sont si bien en place, nous y sommes si bien habitués, qu’ils résistent à l’éclatement que Jésus veut leur faire subir. Nous sentons bien, au fond, que l’Evangile de Jésus va nous rendre plus vulnérables, plus en mouvement.

Jésus cherche à nous déloger de nos citadelles pour nous remettre dans le champ de bataille de la plaine, qui est le champ de la vie. C’est vivant, mais c’est inconfortable ! Nous résistons donc, et l’on voit comment, dans l’Evangile, les démons résistent d’emblée, spontanément, sans que les personnes qu’ils habitent aient pu manifester quoi que ce soit : “ qu’attends-tu de moi, Jésus de Nazareth, es-tu venu pour nous perdre ? ” Les démons, qui logent souvent dans notre inconscient, sentent bien avant nous ce qui est en jeu, et ce qui risque de nous faire changer. 

Autorité

C’est pour cela que l’homme véritable doit disposer d’une autorité, suffisamment forte pour donner confiance, pour aider à dépasser les résistances. Une autorité qui n’a pas peur de nos réactions, parce qu’elle sait de quoi nous sommes faits. Une autorité qui n’est pas un pouvoir dictatorial, mais une force de conviction ancrée dans une expérience commune, un grand respect et une grande connaissance de l’homme.

Un chef d’orchestre racontait l’histoire suivante. Lors d’une classe d’été pour jeunes chefs d’orchestres, un de ses élèves avait eu beaucoup de mal à faire démarrer l’orchestre sur une oeuvre difficile. Et l’élève s’étonnait : “ maître, j’ai eu l’impression de faire exactement comme vous, mais l’orchestre n’est pas bien parti ensemble ”. “ C’est exact, a répondu le vieux chef d’orchestre ; techniquement vous n’avez pas mal fait ; mais la différence entre nous, c’est que quand je fais un geste, mon orchestre me croit. ” Autorité.

C’est précisément cette autorité que Marc souligne chez Jésus, et qui fait l’unité de son ministère. “ Il prêchait non pas comme les scribes, mais avec autorité… Il commandait aux esprits impurs avec autorité, et ils lui obéissaient ”. Ce qui rassemble la prédication et les gestes de Jésus, c’est l’autorité qui s’en dégage. Une autorité qui libère. Par l’autorité, la prédication met en marche. Par l’autorité, le geste d’exorcisme libère la parole et la vie.

C’est ainsi que nous croyons en Jésus-Christ. Il a été l’homme véritable, comme nul autre ne l’a été avant lui. Il a manifesté une autorité qui est pour tout homme et toute femme source de libération. Ainsi nous ne sommes plus liés par les démons qui nous habitent, démons de la peur, de l’angoisse, du besoin de nous justifier et de paraître. Mais nous sommes libérés pour servir et aimer.


[1] E. DREWERMANN, L’Evangile de Marc. Images de la rédemption, Paris : Cerf, 1993.

[2] Selon l’image proposée par E. DREWERMANN, p. 49.

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