Avancer en toute confiance

Prédication du Pasteur Didier Crouzet lors du synode régional à Bordeaux le 19 novembre 2023

 

Textes bibliques:

  • Jérémie 1, 4-8
  • Luc 5, 1-11 (d’après traduction Parole de Vie)

 

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«Un jour, une foule nombreuse serre Jésus de près pour écouter la parole de Dieu » (v. 1). «Avance là-bas où l’eau est  profonde et jetez vos filets » (v. 4). « N’aies pas peur, à partir de maintenant ce sont des humains vivants que tu prendras » (v.10). Trois phrases. Trois ensembles de paroles qui rythment le texte de Luc. Trois aspects d’une même Parole. Trois étapes dans le cheminement de ceux qui vont devenir disciples. Un cheminement qui est au fond celui de tout chrétien, de tout témoin du Christ. Un cheminement qui est peut-être le vôtre, qui peut être le vôtre. Trois étapes donc, au rythme de la parole. Une parole qui est là, une parole qui appelle, une parole qui relève et qui envoie.

 

  1. Une parole qui est là. La première phrase du récit est sans ambiguïté. Lorsque Jésus parle, c’est la parole de Dieu qui est annoncée. La foule ne s’y trompe pas, elle qui serre Jésus de près comme pour boire ses paroles. Sa réputation commence à se répandre en Galilée, il a chassé des démons, guéri des malades. Les gens se posent des questions, veulent en savoir plus. Un type comme Jésus, c’est un événement. Ce n’est pas tous les jours qu’on voit autant d’animation dans la région.

 

L’attitude de Simon et de ses compagnons n’en est que plus étrange. Ils lavent leurs filets. A quelques mètres d’une foule enthousiaste, ils font tranquillement leur boulot de pêcheur, comme si de rien n’était. « Si ces gens n’ont rien d’autre à faire que d’écouter ce beau parleur, tant mieux pour eux. Nous on bosse ». Oui, Simon et ses compagnons font leur boulot à l’écart de l’agitation. On imagine Simon accroupi dans l’eau, concentré sur son travail, absorbé par la répétition des gestes quotidiens : laver les filets, les plier pour le lendemain, les ranger dans la barque, en essayant de ne pas trop penser à ceux de sa famille qui l’attendent à la maison et à leur déception quand ils le verront arriver sans poisson. Sans doute perçoit-il l’animation qui règne un peu plus loin sur la plage. Il entend cet homme qui parle d’une voix forte. Mais ce n’est pas pour lui, pense-t-il. Lui, il a autre chose à faire, de plus urgent, de plus essentiel : il doit gagner sa croûte et pour cela préparer la prochaine pêche.

 

La parole est là. La parole de Dieu est toute proche. Mais il ne se sent pas concerné. Il est tout entier occupé par le quotidien, comme tous les travailleurs du monde, comme tous ceux qui répètent jour après jour les mêmes gestes : se lever, travailler ou chercher du boulot, se nourrir, s’occuper des enfants, faire les courses, laver le linge. Pourtant, qu’on le veuille ou non, la parole est là. Elle nous précède, nous environne. Nous ne la percevons pas toujours, nous l’écoutons distraitement, nous ne nous sentons pas concernés. Mais elle est bien là, sans que nous en ayons forcément conscience. Avant même que nous ayons esquissé le moindre mouvement vers la foi ou imaginé le moindre engagement dans l’Eglise, Dieu, Jésus, la parole nous ont déjà rejoints. D’abord à distance, discrètement, comme Jésus sur la plage. Puis un peu plus près, comme Jésus qui s’approche de Simon.

 

Que lui dit-il ? Oh, rien de très important, pas de paroles fortes. Les paroles fortes, elles viendront plus tard, lorsque la confiance sera établie. Là, ce sont des paroles toutes simples. Toutes simples et pourtant essentielles car elles établissent le contact entre Jésus et Simon. « Jésus monte dans l’une des barques, celle de Simon. Il lui demande : «Éloigne-toi un peu du bord.» Jésus s’assoit dans la barque et il se met à enseigner les foules (v.3). Vraiment, rien de solennel ici. Une simple demande, un petit service. Il y a trop de monde sur le rivage, Jésus a besoin d’air, il demande à Simon un coup de main, un coup de rame. Et Simon accepte de rendre service. Après son indifférence à l’égard de Jésus sur la plage, et bien avant de devenir disciple, Simon commence par être un bénévole au service de l’Evangile.

 

Bien des parcours de croyants ressemblent à celui de Simon. Bien des membres de nos paroisses pourraient raconter la même histoire. Vous êtes là, et puis un jour quelqu’un – le pasteur, un membre du conseil presbytéral, un paroissien – vous demande si vous voulez donnez un coup de main, pour le diaconat, pour la fête de l’Eglise, pour des travaux. Vous ne dites pas non. Et puis vous découvrez un peu plus la paroisse, vous êtes plus assidus au culte. Et à travers la prédication, la liturgie, les rencontres, les discussions, la lecture de la Bible, vous entendez une autre parole, plus forte celle-là, qui vous remue, qui vous bouscule, qui vous questionne. Une parole anodine qui vous demandait un service vous a conduit vers une parole qui va bouleverser votre existence.

 

Vous avancez vers la deuxième étape, comme Simon. Car pendant qu’il rend service à Jésus, n’ayant rien d’autre à faire que de maintenir la barque face à la foule, il écoute. Il est même aux premières loges pour entendre la prédication de Jésus. Et voilà qu’à la fin surgit cette parole stupéfiante : « Avance là-bas où l’eau est profonde et jetez vos filets pour attraper du poisson » (v.4). La parole qui est là se mue en une parole qui appelle.

 

  1. Une parole qui appelle. Parole vraiment stupéfiante venant de la part d’un homme qui ne connaît rien à la pêche. D’ailleurs Simon réagit en bon professionnel qu’il est : « Nous avons travaillé dur toute la nuit, et ça n’a rien donné». Il connaît son métier et ce n’est pas Jésus, un terrien, qui va le lui apprendre : en pleine journée, avec un équipage fatigué, aucune chance de faire de bonnes prises. A cette demande extravagante, Simon oppose une moue dubitative. Cependant, il ne refuse pas. Car à force d’écouter Jésus dans la barque, il a perçu la puissance et l’autorité de cette parole.

 

En vérité, il ne sait pas trop qui est Jésus. Nos Bibles traduisent « Maître », mais dans la bouche de Simon, ce n’est pas encore le « Maître » au sens fort. C’est plutôt une manière de reconnaître à Jésus une autorité ponctuelle. « Là, sur ce coup, je veux bien te faire confiance ». C’est comme s’il disait « Oui, chef !». Et c’est très remarquable. Simon n’attend pas de tout savoir, de tout comprendre, pour obéir à Jésus. Il lui suffit d’avoir perçu que cet homme n’est pas comme les autres, qu’il possède quelque chose de particulier, d’unique. Il sent qu’il émane de lui une force, il entend un appel. Un appel à mettre de côté ses connaissances de professionnel. Un appel à oublier ses certitudes et ses doutes. Un appel à ne pas trop raisonner. Un appel à la confiance. Et Simon répond à cet appel. « Sur ta parole, je vais jeter les filets ».

 

  • Répondre à un appel, c’est d’abord faire confiance. On a des questions, on ne sait pas où ça nous mènera, mais on y va. Parce que si on n’y va pas, si on ne répond pas à l’appel, on a l’intuition qu’on va manquer quelque chose, qu’on va perdre une occasion d’aller plus loin dans la foi et de se rendre utile. Alors on dit oui, parce qu’on a aucune raison de dire non, si ce n’est ses propres craintes de ne pas être à la hauteur. Et là, nous avons deux « béquilles ».

 

  • Première « béquille » : on n’est pas appelé tout seul. L’appel n’est pas réservé à Simon. Même s’il est le seul nommé à ce stade du récit, Jésus s’adresse à tout l’équipage : « Jetez vos filets ». Plus loin, Luc précise que Jacques et Jean sont là. L’appel est collectif. Et la réponse sera également collective (« Alors ils ramènent les barques à terre, ils laissent tout et suivent Jésus v.11). Au moment où dans notre Eglise, nous nous apprêtons à renouveler les Conseils presbytéraux, au printemps prochain, il est bon de se rappeler que nous ne sommes pas appelés tout seul. Nous sommes appelés avec d’autres pour exercer un ministère collégial, pour travailler collectivement. La question n’est donc pas seulement « Pourquoi suis-je appelé, moi ? », mais « Avec qui suis-je appelé ? » Si d’autres que moi ont reçu l’appel du Seigneur, alors nous déterminerons ensemble comment s’exercera la mission qui nous est confiée. Nous ne sommes pas seuls. Nous sommes appelés avec d’autres.

 

  • Ensuite – 2ème béquille – l’appel vient d’un autre. Je ne m’appelle pas moi-même. La Bible est parsemée d’appels de la part du Seigneur auquel, bien souvent, les appelés hésitent à répondre ou même refusent. C’est Jonas qui s’enfuit, c’est Jérémie qui réplique « Je suis trop jeune ». D’autres diront : «Je suis trop vieux, ou trop occupé, ou je ne suis pas capable, ou ma foi est trop faible ». Alors, si vous hésitez à répondre à un appel, dites-vous une chose : le propre de l’Eglise du Christ, c’est d’être constituée d’appelés. Dans l’Eglise, on ne vise pas tel ou tel poste, on ne cherche pas des places d’honneur, on n’est pas promu, on ne fait pas carrière : on répond à un appel. L’appel est essentiel. Il nous prémunit à la fois de l’orgueil et de la culpabilité.

 

Orgueil de penser que l’on occupe telle ou telle fonction par ses seuls mérites, que tel succès dépend de nos qualités ; culpabilité liée au sentiment d’échec que l’on impute à nos seuls défaut ou insuffisances. L’appel rend libre et permet à l’appelé de se tenir à sa juste place, entre orgueil et culpabilité, dans une attitude d’humilité et de service.

 

A l’image de Simon Pierre. Constatant la pêche miraculeuse, il est saisi d’effroi. Il tombe à genoux et s’écrit « Je suis un pécheur ». Ici, la langue française nous joue des tours, car elle emploie des homonymes pour désigner le professionnel de la pêche et l’homme reconnaissant  son péché. Dans le texte de Luc, aucun jeu de mot, mais l’expression d’une réalité : Simon Pierre ne s’estime pas digne de bénéficier des largesses de Dieu. Dans ce cri, il ne faut pas voir l’expression d’une indignité particulière.  Simon Pierre ne se sent pas spécialement coupable. Il reconnait humblement face à Dieu la fragilité de sa nature, la faiblesse de sa foi et cela le bouleverse, comme ses compagnons. On pourrait traduire : « Je ne suis qu’un pauvre bougre ». A genoux, il confesse sa condition humaine et les limites de ses capacités, lui qui n’arrive pas à remonter le filet tellement il est plein de poissons. Il voit qu’il n’est pas à la hauteur des attentes de Jésus. Il craint de ne pas pouvoir répondre pleinement à l’appel qu’il a reçu. C’est alors qu’il entend une parole qui le relève et qui l’envoie.

 

  1. Une parole qui relève et qui envoie. « N’aies pas peur ! À partir de maintenant, ce sont des humains vivants que tu prendras.» Parole merveilleuse de douceur et d’humanité de la part du Fils de Dieu. Parole qui rassure : « tu es comme tu es et je ne t’en veux pas pour ça ». Parole qui apaise : « Tu es homme, je suis Dieu, et alors ? Ça n’empêche pas de se parler et de faire un bout de chemin ensemble ». Parole qui relève et qui envoie. Car entendant cette parole, Simon qui était tombé aux genoux de Jésus, ramène sa barque à terre avec ses compagnons et suit Jésus.

 

La parole de Jésus a redonné confiance à Simon et lui a ouvert des perspectives d’avenir. Jésus a discerné en Simon l’étoffe d’un disciple. Preuve que l’identité d’une personne ne se limite pas à ce qu’elle perçoit d’elle-même. Nous ne sommes pas toujours les mieux placés pour savoir ce que nous valons, ce que nous pouvons. Nous sommes en réalité bien plus que ce que nous pensons être. Que nous nous estimions incapables et indignes ou au contraire compétents et bien comme il faut, notre propre perception ne rend pas totalement compte de notre réalité. Pour savoir qui nous sommes, un regard et une parole extérieurs sont nécessaires. Ce regard, cette parole, c’est Dieu qui nous les adresse et qui ainsi construit notre identité.

 

Alors, vous pensez ne pas être à la hauteur de l’appel reçu ? Vous vous sentez petit et faible dans la foi ? Vous vous sentez fragiles ? Vous êtes comme Simon Pierre. Comme lui, vous êtes au bénéfice de cette grâce de Dieu étonnante et merveilleuse que l’on ne peut ni marchander, ni maîtriser mais seulement accueillir et recevoir avec confiance. Vous êtes au bénéfice de cette parole d’encouragement de Jésus : « N’aies pas peur ». Vous êtes au bénéfice de son regard confiant, de sa présence bienveillante. Chaque matin,  le Seigneur nous dit : « Je renouvelle en toi les forces dont tu as besoin pour avancer sur le chemin de l’existence, pour surmonter les obstacles de la vie et apporter le réconfort à ceux que tu croises. Accueille mon espérance, laisse mon Esprit agir en toi. Et le monde en toi et autour de toi s’éclairera à nouveau ».

 

Simon a entendu cette Parole. Il s’est relevé. Il s’était mis à genoux devant Jésus dans une attitude de crainte et de soumission, comme devant un puissant Seigneur dont on attend les décisions et les ordres. Il s’était comporté comme si Dieu était  un grand chef qui dit à ses subordonnés : « Tu es quelqu’un si tu m’obéis sans discuter ». Simon découvre ici à travers Jésus un Dieu qui dit : « Tu es quelqu’un dès l’instant où je te parle. Ce que tu es ne dépend pas ce de que tu fais, mais de la parole que je t’adresse, qui te relève et qui t’envoie ».

 

Car la parole de Jésus ne fait pas que parler : elle agit. Elle relève et dans le même temps elle envoie. Elle provoque chez celui qui l’entend le désir de la partager, elle donne une énergie qui déborde. C’est dans le même mouvement que Simon et ses compagnons se lèvent, ramènent leur barque et suivent Jésus. Nous aussi, subjugués par la parole qui est là, qui nous appelle, qui nous relève, qui nous envoie, nous marcherons, chacun à notre manière, mais ensemble, à la suite de Jésus, pour témoigner de cette parole.

Amen.

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