Marie Durand, prisonnière pendant 38 ans

Marie Durand évoque une femme à la foi inébranlable. Maintenue en détention à partir de l’âge de 19 ans et pendant 38 longues années dans la Tour de Constance à Aigues-Mortes, cette protestante du 18ème siècle est la 3ème figure des confinés de la foi que nous fait découvrir le Pasteur Eric de Bonnechose.

Le texte ci-après reflète le contenu de l’émission Couleur Réformée – une expression de l’Église Protestante Unie du 16 mai 2020 sur radio RCF

Confinés de la foi – troisième partie

Lancement : « Résister ». C’est le verbe qui est inscrit dans la pierre de la Tour de Constance à Aigues-Mortes. Un verbe gravé par les femmes protestantes qui y furent enfermées pour leur foi. Et notamment la plus célèbre d’entre elles : Marie Durand. Aujourd’hui, dans Couleur Réformée, 3è épisode d’une série sur les confinés de la foi.

Inscription

REGISTER qui signifie RESISTER. Inscription dans la pierre de la Tour de Constance

 

Dans la série d’émissions que nous avons entreprise sur « les confinés de la foi », nous étions la semaine dernière avec Luther, en 1521 au château de la Wartburg. Nous faisons maintenant un saut de 200 ans dans l’histoire, et plus de 1300 km vers le sud. Le Vivarais et le Languedoc, dans le Royaume de France, à l’époque dite « du désert ».

Quelle est cette époque « du désert » ?

C’est la période qui s’étend de la Révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV en 1685, à l’édit de tolérance de Louis XVI en 1787. Cent ans d’interdiction du protestantisme, avec des périodes de persécutions très sévères, comme on va le voir. Les protestants en étaient réduits, pour les plus téméraires d’entre eux, à tenir des assemblées clandestines en dehors des agglomérations. Ce qu’ils ont appelé des cultes « au désert », pour faire écho à l’exode des hébreux pendant 40 ans dans le désert.

Je vous propose aujourd’hui de nous arrêter le 14 juillet 1730 dans le village de Pranles, dans le département actuel de l’Ardèche.

Que s’est-il passé, ce jour-là ?  

C’est le jour de l’arrestation de Marie Durand, une jeune paysanne protestante de 19 ans, et de l’homme qu’elle a épousé quelques mois plus tôt. Lui sera emprisonné pendant 20 ans, et elle pendant 38 ans dans un autre lieu. Ils ne se reverront pas. 

Que leur reproche-t-on ?

D’avoir participé à des réunions interdites, pour le culte protestant. Et pour Marie surtout, d’être la sœur de Pierre Durand, un pasteur en fuite : on arrête Marie pour faire pression sur son frère, pour qu’il se rende. Il sera finalement trouvé et pendu deux ans plus tard. Quant au père de Marie, il passera 14 ans en prison. La mère, elle, a été arrêtée 10 ans plus tôt, et depuis elle n’a plus reparu.

Quel terrible tableau ! Marie Durand se retrouve donc seule, en prison ?

 Non. Elle vit dans plusieurs salles communes, pleines d’humidité et de fumée, en compagnie d’un groupe de femmes protestantes, arrêtées comme elle en raison de leur foi. Pendant les 38 ans que Marie Durand va passer à la tour de Constance, il y aura entre 20 et 30 femmes. Et malgré son jeune âge, Marie deviendra peu à peu la figure majeure du groupe. Celle qui représente les autres quand il faut écrire un courrier, celle qui se préoccupe du sort de chacune, celle aussi qui tient bon quand les autres flanchent… Elle est fille de greffier, donc peut-être un peu plus instruite que les autres. Mais surtout c’est une femme d’une vive intelligence, d’un fort tempérament, et d’une foi indomptable.

Comment Marie Durand vit-elle cet enfermement ?

Couverture du livre

Lettres de Marie Durand, présentées par Etienne Gamonnet, Sète : éd. Nouvelles Presses du Languedoc, 2011. Je m’inspire largement du très bon texte d’introduction. EdB

On a gardé d’elle une cinquantaine de lettres de prison, plus quelques témoignages extérieurs. C’est assez maigre pour se faire une idée, d’autant qu’on a peu de lettres des 10 premières années. Ce qu’on remarque en tout cas, c’est dans les années 1750, après 20 ans d’enfermement, beaucoup d’espoirs dans une libération possible. Et puis quelques années plus tard, au contraire, dans les années 1760, du découragement. La situation politique et la sévérité vis-à-vis des protestants avait ses hauts et ses bas. Il faut dire aussi que les soutiens extérieurs, que Marie Durand avait trouvé dans les premières décennies, finissaient par s’affaiblir et se lasser.

Quels étaient ces soutiens ?

Des protestants de la région, d’abord. Des connaissances familiales, ou des bienfaiteurs qui connaissaient l’une des détenues, ou qui s’étaient manifestés spontanément. On a une belle lettre de 1740, dans laquelle Marie Durand répond à une dame du Vivarais, sa région natale, en essayant de mobiliser les coreligionnaires de cette contrée. Il y a aussi un soutien de l’église wallonne d’Amsterdam : il s’agit de protestants français réfugiés en Hollande, et qui gardaient le souci de leurs frères dans la foi, demeurés au pays. Et enfin il y a le soutien de quelques pasteurs, notamment Paul Rabaut, un pasteur qui eut un grand rôle pour le soutien apporté dans tout le Languedoc aux Eglises protestantes en clandestinité.


Les prisonnières huguenotes dans la Tour de Constance à Aigues-Mortes
Les prisonnières huguenottes à la Tour de Constance

En quoi consistaient ces soutiens ?

Il y avait d’abord un soutien matériel très concret : des denrées alimentaires, des habits, du tissu, de l’argent… les détenues manquaient de tout, et on ne pouvait pas survivre sans aide extérieure. Il y avait aussi un soutien pour les affaires patrimoniales très compliquées : dans un contexte de deuils multiples et de persécutions, il fallait essayer malgré tout, depuis la prison, de préserver quelques intérêts en vue de la libération. Il y avait aussi des demandes de soutiens politiques, des demandes de grâce. Et puis un soutien moral et spirituel. Un seul mot de reniement de sa foi aurait permis à Marie Durand d’être libérée. Se savoir soutenue, encouragée ; savoir simplement qu’on pensait à elle, était un soutien inestimable.

Nous parlons aujourd’hui de Marie Durand, une protestante du Vivarais enfermée pendant 38 ans pour sa foi dans la prison d’Aigues-Mortes, la sinistre tour de Constance. Précisément, quelle est la foi de Marie Durand ?

Une foi très calviniste ! D’abord une foi nourrie de nombreuses références bibliques, qu’elle connaît très bien et qu’elle cite à propos. Elle fait vraiment partie du peuple formé par la Bible. C’est aussi une foi dans la grandeur de Dieu, le « soleil de justice », le « souverain juge », le « divin maître », mais aussi « le Dieu de miséricorde et de toute consolation », selon ses propres expressions. Un Dieu qu’elle ne critique jamais, dont elle ne doute jamais, et de qui elle attend toute libération. Un Dieu aussi à qui elle s’en remet quand tout va mal, dans une forme de soumission aux événements. « Soumettons-nous à sa sainte volonté », écrit-elle. « Dieu veut tout ce qu’il m’arrive ; je le loue en tout ». Elle va même jusqu’à écrire, dans un moment de découragement : « Quand tu me tuerais, Seigneur, j’espérerai toujours en toi ».

C’est vraiment la souveraineté de Dieu…

Oui ! Pour ma part je ne suis pas sûr de pouvoir – ni de devoir – aller aussi loin. Mais je ne suis pas dans sa situation, et cette foi extrême dans ce qui peut venir de la main de Dieu, ne la dispense pas d’agir. Marie Durand s’emploie à conformer sa vie à l’exemple du Christ. C’est ce qu’elle fait en se mettant au service de ses compagnes. Et c’est aussi ce qu’elle fait en renonçant à toute violence. Par exemple quand elle doit affronter différentes injustices de la part du pouvoir ou de la part des gens avec qui elle traite ses affaires, elle accepte. Et elle écrit : « je me suis toujours tue, parce que le Seigneur l’a fait. »

Tout à l’heure nous parlions de résistance, du verbe « résister » gravé dans la pierre. Mais c’est une résistance pacifique, pour Marie Durand.

C’est une chose admirable chez elle. Une foi inflexible, austère et presque dure, mais sans violence, remplie de patience, et soucieuse de miséricorde. Une foi qui sait que les plus durs combats sont ceux que l’on mène contre soi-même.

Est-ce qu’on peut dire que Marie Durand est une sorte de sainte protestante ?

Non, parce qu’il n’y a pas de saints chez les protestants, au sens où l’on utilise ce mot dans les autres familles chrétiennes. Il n’y a pas de relique ou de culte de Marie Durand, et pas de prière pour qu’elle intercède auprès de Dieu. Mais c’est une figure de foi, et une figure de martyre aussi, qui peut inspirer les chrétiens, et qui a progressivement inspiré les protestants.

Marie Durand n’a pas été célébrée tout de suite, à son époque ?

Plaque commémotative Pierre et Marie Durand

Plaque commémorative sur la façade de la maison des Durand

Elle est longtemps restée dans l’ombre de son frère, le pasteur pendu en 1732. Ce n’est que 150 ans plus tard, vers la fin du XIXè siècle, qu’un ouvrage la met sur le devant de la scène. L’histoire puise souvent ses motivations dans le contexte où elle s’écrit. A cette époque – fin XIXè siècle, donc – il s’agissait pour certains de raviver la foi protestante, jugée trop molle et menacée dans sa conscience morale. Marie Durand devient alors une figure importante. (cf Yves Krumenacker, « Marie Durand, une héroïne protestante ? », in Clio, Histoire, femmes et société, 2009)

Comme le dit un historien protestant en 1914 : « il y a deux formes de résistance ; d’une part l’héroïsme momentané du guerrier qui combat, qui tue et qui meurt » – c’est l’exemple de Pierre Durand. « D’autre part l’obstination admirable, la résistance douce et prête à tout, de la conscience qui ne veut pas plier » – et c’est l’exemple de Marie Durand. Une vision assez sexuée, sans doute, mais qui au moins valorise une femme dans le protestantisme !

Il y a une « résidence Marie Durand » à Bordeaux, depuis 2 ou 3 ans…  

C’est en effet le nom que la Maison protestante de retraite de Bordeaux a souhaité donner à son nouvel Ehpad, construit en bordure du Grand Parc. J’en suis l’aumônier, et j’avoue que j’ai un peu résisté à l’attribution de ce nom ; je trouvais cette figure peu œcuménique, et je craignais qu’on fasse le rapprochement symbolique entre une maison de retraite et la prison d’Aigues Mortes… Mais dans sa dimension de foi, de patience, de souci des autres, Marie Durand est une très belle figure.

Pour conclure, que retenir de cette troisième figure de « confinés de la foi », après l’apôtre Paul et Martin Luther ?

C’est la figure par excellence de l’emprisonnement pour convictions religieuses. Et c’est une figure de ce qui tient grâce aux racines de l’éducation religieuse, grâce à l’appui de quelques amis, et grâce au soutien vivant de la foi. Même dans les situations les plus extrêmes. Marie Durand est jetée en prison à cause de sa foi, et elle résiste à cause de sa foi. Tout est là, dans la foi, à un point incandescent. Le tourment et la grâce.


Confinés de la foi épisode 2


Confinés de la foi épisode 4

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