LA TRINITÉ EN QUESTION(S)

Prédication d'Eric Deheunynck à Soulac le 20 juillet 2025

Genèse 1
1 Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. 2 La terre était informe et
vide: il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit de Dieu se
mouvait au-dessus des eaux. 3 Dieu dit: Que la lumière soit! Et la lumière fut.
Genèse 18
1 L’Éternel lui apparut parmi les chênes de Mamré, comme il était assis à
l’entrée de sa tente, pendant la chaleur du jour. 2 Il leva les yeux, et regarda: et
voici, trois hommes étaient debout près de lui. Quand il les vit, il courut audevant
d’eux, depuis l’entrée de sa tente, et se prosterna en terre. 3 Et il dit:
Seigneur, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe point, je te prie, loin de ton
serviteur. 4 Permettez qu’on apporte un peu d’eau, pour vous laver les pieds; et
reposez-vous sous cet arbre. 5 J’irai prendre un morceau de pain, pour fortifier
votre coeur; après quoi, vous continuerez votre route; car c’est pour cela que
vous passez près de votre serviteur. Ils répondirent: Fais comme tu l’as dit.
6 Abraham alla promptement dans sa tente vers Sara, et il dit: Vite, trois
mesures de fleur de farine, pétris, et fais des gâteaux. 7 Et Abraham courut à
son troupeau, prit un veau tendre et bon, et le donna à un serviteur, qui se hâta
de l’apprêter. 8 Il prit encore de la crème et du lait, avec le veau qu’on avait
apprêté, et il les mit devant eux. Il se tint lui-même à leurs côtés, sous l’arbre. Et
ils mangèrent. 9 Alors ils lui dirent: Où est Sara, ta femme? Il répondit: Elle est
là, dans la tente. 10 L’un d’entre eux dit: Je reviendrai vers toi à cette même
époque; et voici, Sara, ta femme, aura un fils.
Matthieu 28
16 Les onze disciples allèrent en Galilée, sur la montagne que Jésus leur avait
désignée. 17 Quand ils le virent, ils se prosternèrent devant lui. Mais quelquesuns
eurent des doutes. 18 Jésus, s’étant approché, leur parla ainsi: Tout pouvoir
m’a été donné dans le ciel et sur la terre. 19 Allez, faites de toutes les nations
des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, 20 et
enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec
vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde.

 

 

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Michel Servet dans la Genève de Calvin fut brulé pour hérésie. Il avait osé contester la doctrine de la Trinité, comparée à un Cerbère, le chien à trois têtes surveillant l’entrée des enfers selon les Grecs et les Romains. Cet épisode nous rappelle deux choses : 1 la Trinité est un point de doctrine majeur dans le christianisme. 2 cette doctrine a été l’objet de contestations depuis longtemps. Je vous propose de revenir sur les sources bibliques et sur ces contestations pour mieux revisiter la Trinité. J’ai à dessein1 parlé de doctrine et non de dogme… Le dictionnaire Littré définit ainsi le dogme : « Point de doctrine établi comme fondamental, incontesté, certain ». Le dogme est figé comme un bloc monolithique, la doctrine elle peut être interrogée, déconstruite pour être mieux reconstruite.

La Trinité dans la Bible, présente sans être citée ?

Le mot « trinité » n’existe pas dans la Bible, ni dans l’Ancien, ni dans le Nouveau Testament. Pourtant les exégètes ont lu certains passages comme parlant de la trinité.

« Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. La terre était informe et vide: il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux. Dieu dit: Que la lumière soit ! Et la lumière fut. » Dès le début de l’Ancien Testament, une lecture trinitaire est possible : Dieu (le Père) crée dès le premier verset. Son esprit planait à la surface de l’abîme. Dieu devient ensuite parole – il dit – comme le Christ est Parole. De plus Dieu est au pluriel (Elohim, pluriel de El) mais le verbe est au singulier. Dès les premiers versets, la Trinité est présente.

Certains s’appuient aussi sur le texte de Genèse 18 : «Le Seigneur apparut à Abraham aux chênes de Mamré alors qu’il était assis à l’entrée de la tente dans la pleine chaleur du jour. Il leva les yeux et aperçut trois hommes. »

Le Nouveau Testament peut aussi être mobilisé comme Mt 28, 19 : « Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». La trinité est nommé « père, fils et Saint-Esprit ». Remarquez l’expression « au nom » et non « aux noms ». Il est bien question d’un seul Dieu en trois personnes. (…)

Une doctrine contestée, contestable

Les interprétations du texte biblique dans un sens trinitaire ont été critiquées. Le fait que El deviennent Elohim correspond à un pluriel de majesté.

Gn 18 parle de Dieu en trois anges… cette présentation qui semble directement parler de la trinité peut s’expliquer différemment par la critique de la rédaction. Ce passage additionne deux récits. Le 1er verset transforme un récit d’apparition (théophanie) en rencontre de messagers divins… La formation de ce récit, plus que la doctrine de la Trinité, explique donc un tel paradoxe. Quant au baptême « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit », il n’est pas a priori une formulation doctrinale mais plutôt une formule liturgique des premières communautés chrétiennes.

La doctrine de la Trinité est en contradiction avec certains passages comme le Prologue de Jean et les propos de Jésus lui-même rapportés par les autres évangiles : « Le Père est plus grand que moi… », « Pour ce qui est du jour et de l’heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père seul. » Matthieu, 24, 26 « Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Jésus est assurément fils de Dieu, mais est-il Dieu-le-Fils

1     Volontairement

 

de toute éternité ? Il n’est pas étonnant que les premiers siècles de notre ère aient vu se multiplier les querelles christologiques…

La doctrine a été remise en cause par les juifs comme par les musulmans car elle semble remettre en cause de l’unicité de Dieu. Les textes arabo-musulmans qui parlent de polythéistes parlent des chrétiens. Certains chrétiens, les unitariens, les héritiers de Servet, ont critiqué la doctrine de la Trinité. Ces critiques au final reposent la question de l’identité de Jésus. (…)

Revisiter la trinité

Si la Trinité n’est pas inscrite dans notre Bible, elle n’est pas disqualifiée a priori. Mais il faut lever une première difficulté, celle du vocabulaire. Nature, substance, hypostase, personne… autant de termes, qui sont des traductions et dont le sens nous échappe souvent !

Les traductions diverses finissent par semer la confusion dans les esprits. Personne (persona en latin) est traduit en grec par hypostasis qui peut aussi se traduire en latin par subsistentia ou substantiva (manière d’être, mais aussi substance). Ainsi au fil des traductions on glisse de l’être à la substance… L’Église d’Arménie ne reconnut pas les décisions du concile de Chalcédoine où fut adoptée la définition des deux natures du Christ réunies en une seule personne… car la langue arménienne ne faisait aucune distinction entre nature et personne ! Les mots et les traductions multiples nous piègent.

Cela est frappant pour la notion de personne. La personne est le masque à travers lequel l’acteur parle. Dieu joue des rôles différents. Il est à la fois immanence, transcendance et un. Pour Barth préfère la personne est « manières d’être » de Dieu.

La doctrine de la Trinité n’affirme pas seulement l’existence de trois personnes, mais aussi celle de trois personnes en relation. On ne peut être père que si l’on a un fils et vice-versa. Et la relation qui s’établit peut soit s’appeler paternité, soit filiation. Il est clair que la relation du Saint-Esprit avec les deux autres personnes est pour nous moins explicite. Les théologiens parlent néanmoins de procession. (cf Ortho) On peut même ajouter que cette relation est relation d’amour. Amour du père pour son fils et inversement. Dans nos discussions sur la Trinité, nous avons oublié qu’elle signifie aussi que Dieu est relation, relation d’amour, relation d’amour en Lui-même, avant même d’être relation d’amour avec ses créatures.

Un Dieu simple, impersonnel, c’est si facile de le définir, de le posséder, d’y projeter nos propres aspirations ! Ainsi, c’est par son caractère trinitaire que Dieu échappe à toute mainmise, à toute certitude. Pensez à Moïse qui rencontre Dieu sans le voir. Pensez à Dieu qui lui donne son nom, un nom qui n’en n’est pas un, « celui qui est ». Pensez au même Moïse qui se déplace pour faire le tour de ce buisson ardent et qui n’y arrive pas. Ce qui me semble être, à travers la Trinité, le génie propre du christianisme, c’est qu’elle préserve le caractère insaisissable de Dieu. La trinité m’invite plutôt à la réflexion, au partage, au dialogue…

La représentation de Chagall, me paraît la plus parlante. Dieu apparaît à travers trois anges attablés, assis sur le même banc, autour d’un repas préparé par Abraham. (…) La Trinité n’est pas représentée comme un concept abstrait de théologien mais comme une rencontre, une relation, un échange. C’est la force de la Trinité de nous dire que dieu est relation, relation d’amour, en lui-même mais aussi avec ses créatures, avec vous et moi, avec nous… un bel exemple à suivre pour tous aujourd’hui.                                                                                                                                         AMEN

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